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Article publié le mercredi 6 juillet 2011 mis à jour le mardi 14 février 2023

Lumière et couleurs

Petite histoire de la notion scientifique de la lumière et des des interprétations subjectives des couleurs. Ma couleur préférée ? Euh, je dirais aux alentours de 620 nanomètres de longueur d’onde...

Dans l’Antiquité

Chez les Grecs, la vision était conçue comme le résultat d’une action de l’œil sur l’environnement. Ils pensaient que l’œil "émettrait" de la lumière. Cette conception active du fonctionnement de l’œil fut partagée par la plupart des savants de l’antiquité depuis PYTHAGORE (580-504 AvJC), EUCLIDE (325-265 AvJC), jusqu’à Claude PTOLÉMÉE (90-168).

Il n’y avait donc pas de problème de « lumière », mais un problème de « vision ».

DÉMOCRTE d’Abdère (460 AvJC), comme ARISTOTE (384-322 AvJC) plus tard, avança au contraire que les images étaient formées par des "corpuscules" matériels émis par l’objet (première trace de la conception corpusculaire moderne de la lumière).

Mais Claude GALIEN (ca129 - ca216) invalida cette théorie : il considérait que la pupille est beaucoup trop étroite pour que puisse y passer l’image d’une montagne... Et ce malgré de nombreuses opérations audacieuses sur l’oeil, dont la première dissection.

Parallèlement, les couleurs commencent leur histoire. A cette époque, le blanc est synonyme de pureté, et la couleur n’est qu’un mélange, tandis que le noir est l’impureté absolue.

Le rouge est la couleur vénérée par excellence. Symbole du pouvoir à Rome (la bande rouge du murex sur la toge des sénateurs), ou de vie chez les Chrétiens (le sang du Christ). L’antiquité surexploite la trilogie blanc-noir-rouge.

Le jaune est assez valorisé à Rome, comme dans les cultures asiatiques. En Chine il était réservé à l’Empereur.

Le vert est chimiquement instable et n’est donc que très peu utilisé.

Le bleu, difficile à produire, est quasiment inexploité. En Grèce, les textes confondent bleu, gris et vert : le terme γλαυκός [glaukos] désigne une couleur qui fait partie du champ chromatique vert, un vert pâle qui tire vers le bleu ou ou le gris. Mais c’est bien cette couleur qu’utilisaient les Grecs pour qualifier la mer. De nos jours, elle est "bleue".

À Rome, il est la couleur barbare : les hommes aux yeux bleus sont ridiculisés, les femmes, considérées comme des prostituées. Le bleu n’a été apprécié qu’en Egypte, où il fut la couleur du bonheur dans l’au-delà, et dans le proche-orient, où le mot saphir vient de l’hébreu "sappir" (« la plus belle chose »).

Au Moyen-Âge

Beaucoup plus tard, Les savants arabes reconsidérèrent séparément lumière et vision. Hunayn Ibn Ishaq, au nom latinisé de JOHANNITIUS (808-873) rédigea deux traités consacrés à l’œil et à la vision.

Abu Alī al-Hasan ibn Al-Haytam dit ALHAZEN (965-1039) réfute définitivement les idées antiques en reprenant celle de DÉMOCRITE : la lumière est émise par l’objet sous forme de "petites billes". Sinon, selon la théorie antique, l’oeil pourrait voir de nuit, comme l’avait déjà démontré Aristote (384-322 AvJC). Il est à l’origine de l’optique géométrique.

Robert GROSSETÊTE dit aussi Robert de LINCOLN, est un érudit anglais, évêque de Lincoln (1175-1253) qui s’intéressa à l’optique. Reprenant ALHAZEN, il étudie, en plus de l’arc-en-ciel et les lentilles, la réfraction de la lumière à travers un récipient sphérique rempli d’eau. Il est l’un des premiers théoricien de la couleur. Il décrit le blanc (lux clara ou albedo), le noir (lux obscura ou nigredo) et les 7 couleurs fondamentales. À chaque couleur, il affecte une autre propriété : la luminosité.

VITELLION (Erazmus Ciolek Witelo, ca1230-ca1280/1314), est un moine de Silésie surtout connu par son traité d’optique, "De perspectiva". Il y reprend et développe les idées d’ALHAZEN qu’il fait connaître. Il y traite du phénomène de réfraction de la lumière dans différents milieux et son écrit est l’un des premiers travaux de science expérimentale et quantitative.

À la même époque, Saint Thomas d’AQUIN (1224-1274) énonce que l’on ne peut quantifier la lumière puisqu’elle est d’essence divine.

Le Moyen-Âge utilise deux mots latins pour blanc, candidus (brillant) et albus (mat), comme en allemand blank (brillant) et weiss (mat). Le blanc est une couleur à part entière, symbole de propreté et de pureté.

Le Moyen-Âge utilise deux mots aussi pour noir : « niger » qui a donné noir et désigne un noir brillant et « ater » qui désigne un noir mat inquiétant. Le noir reste absent des tableaux car il est ardu d’en obtenir un beau.

Les colonies de murex s’étant épuisées, le rouge se fabrique désormais laborieusement à partir de kermès, des oeufs de cochenille. Le rouge est plus vif, mais plus couteux. Il est réservé aux seigneurs. Il reste le rouge garance pour le peuple.

Le jaune mat, séparé de la couleur or parée de toutes les vertus, se voit attribué toutes les connotations péjoratives. Il devient la couleur des traîtres (Judas Iscariote), des chevaliers félons (Ganelon), des faux-monnayeurs (conduits au bûcher en costume jaune), des prostituées et des ostracisés.

Le vert, obtenu à base d’oxyde de cuivre est toxique. Cette couleur renforce donc sa réputation vénéneuse ; il devient la couleurs des dragons et des potions de sorcières. La couleur du destin ; favorable ou fatal.

Le bleu reste longtemps absent mais des couleurs liturgiques, mais dès le XIIe siècle, il devient la couleur de la Vierge (qui habite dans l’azur). Les tableaux se parent désormais de cieux et de robes bleus. Il teinte les vitraux des cathédrales et le bleu de Chartres devient célébrissime. Les rois de France en font leur couleur héraldique.

À l’époque moderne

À la Renaissance, la science profane prend son essor avec l’introduction de la méthode expérimentale.

À l’époque moderne apparassent les deux théories fondamentales de la lumière : la théorie corpusculaire et la théorie ondulatoire.

Johannes KEPPLER (1571-1630), astronome allemand, rassemble les connaissances de l’époque dans son livre "Astronomia pars Optica", publié en 1604. Il y explique les principes fondamentaux de l’optique moderne, comme la nature de la lumière. L’oeil est définitivement dissocié de la lumière.

En 1637, René DESCARTES (1596-1650) rédige les lois de le réfraction et après lui, le mathématicien Pierre de FERMAT (ca 1610-1665) relevant les erreurs de DESCRTES, détermine que le lumière utilise une trajectoire qui minimise son temps de déplacement. GALLILÉE (1564-1642) s’évertua en vain à calculer la vitesse de la lumière, si elle n’est plus instantanée comme l’écrit DESCARTES.

C’est en 1676 que l’astronome danois Ole Christensen RØMER (1644-1710) annonce définitivement que la lumière a une vitesse finie.

Issac NEWTON (1643-1727), philosophe et physicien anglais, formule la théorie des couleurs (principe du prisme décomposant la lumière blanche en un spectre visible) à partir de la théorie corpusculaire, qui permet d’interpréter la propagation rectiligne de la lumière avec les particules qui la compose. Avec lui, la lumière blanche devient l’addition de toutes les couleurs !

En 1690, l’astronome hollandais Christiaan HUYGENS (1629-1685) publie sa théorie ondulatoire dans son "Traité de la Lumière". Contre NEWTON, il avance que la lumière est une onde se propageant dans l’éther.La théorie de l’Anglais éclipse celle du Hollandais par la simple renommée de ce premier, mais l’histoire réconciliera les deux.

Leonhard Paul EULER (1707-1783), mathématicien et physicien suisse, a exprimé son désaccord avec la théorie corpusculaire de la lumière de NEWTON dans son ouvrage "Opticks" publié en 1746. Il soutient la thèse ondulatoire de HUYGENS.

Si la nature de la lumière n’est pas élucidée, la vie des couleurs poursuit sa petite histoire parallèle.

La Réforme déclare la guerre aux couleurs. Le noir devient la couleur de l’austérité protestante, de l’humilité chrétienne, à un moment où les teinturiers réussissent enfin à produire des noirs de qualité. Charles V et Martin LUTHER s’habillent de noir.

A contrario, le vert, utilisé en France catholique pour l’habillement, devient synonyme de gaillardise souvent sexuelle ; le « Vert Galant ». Mais le vert reste une couleur difficile à produire : il faudt attendre le XIXe siècle pour produire un vert malachite éclatant grâce à la chimie.

Le rouge reste symbolique de la force, de la puissance, de la richesse. La mariée est en rouge car c’est la plus chère des couleurs. Mais la Réforme qualifie le rouge d’immoral ; les hommes s’en vêtent de moins en moins, sauf les prélats qui l’adoptent dans des teintes pourprées. Le jeu d’échecs, opposant à l’origine des pièces rouges à des pièces blanches, devient noir et blanc ! L’obscurité contre la lumière.

À l’époque contemporaine

L’écrivain allemand Johann Wolfgang von GOETHE (1749-1832) lance sa propre théorie dans son "Traité des couleurs", qui s’oppose à celle de Newton. Esthétique mais non scientifique.

Mais la nature ondulatoire de la lumière est mise en évidence par Thomas YOUNG (1773-1829), savant anglais et fondateur de l’optique physiologique. Il est en sus le premier à avancer l’hypothèse que la perception de la couleur est due à la présence sur la rétine de trois types de récepteurs qui réagissent respectivement au rouge, au vert et au bleu.

Au sujet du vert c’est le chimiste anglais William PERKIN qui créé le premier colorant de synthèse qui permet d !s 1859 la production de vêtements d’un beau vert malachite très "fashionable" dans l’Angleterre victorienne. Mais l’arsenic utilisé dans le processus de colorisation provoquera de nombreux malades, voire même quelques décès.

Augustin FRESNEL (1788-1827), mathématicien et physicien français, confirme la théorie ondulatoire de la lumière et définit entre autres la notion de longueur d’onde. Il est le fondateur de l’optique moderne.

James C. MAXWELL (1831-1879), physicien écossais, détermine que la lumière est une onde électromagnétique car elle se déplace à la même vitesse que les champs magnétiques, et qu’il existe de multiples fréquences de cette onde. Seules quelques fréquences entre l’infrarouge et l’ultraviolet seraient visibles par l’oeil humain.

Au XXème siècle, les théories de Max PLANCKE (1858-1947) et Albert EINSTEIN (1879-1955) conduisent à la naissance du "photon", terme inventé par Gilbert LEWIS en 1926 pour désigner ces "grains discret de lumière". Le lumière est dorénavant à la fois ondulaire et corpusculaire.

Quant aux couleurs, les inventions plus ou moins fumeuses sur la symbolique des couleurs ré-inventent les théories d’autrefois à l’aune des interprétations actuelles. Le bleu est restée la couleur la plus appréciée et la plus conformiste le ’blue jean’), le vert, plus facile à synthétiser est revenu en grâce, apportant espoir et écologie.

Le noir reste la couleur du "sérieux et de la rigueur", le blanc de la pureté, même si cette notion de pureté ne reflète plus rien de mystique, ou si peu. Si le jaune n’a pas perdu toutes ses connotations négatives, il a gagné le maillot des sportifs et le gilet des travailleurs ou des automobilistes en détresse.

Le rouge n’est pas détrôné de sa fonction première d’avertissement, d’alarme, ou de danger, de ligne à ne pas franchir ou plus prosaïquement de soulignement de nos fautes d’orthographe sur les dictées d’avant les correcteurs automatiques et l’intelligence artificielle...

Si le vert ne tue plus grâce à des solutions chimiques plus économiques et plus soucieuse de la santé publique, il est certains que les industriels de la teinture doivent utiliser des produits chimiques potentiellement cancérogènes. Ils sont soumis à de stricts contrôles par la communauté européenne afin d’assurer la sécurité des consommateurs. n’en reste pas moins le problème de l’évacuation des déchets de la colorisation qui seraient responsables de 20% de la pollution de l’eau...

Sources : – Bernard Maitte, colloque "Lumières des Lumières", [Le Fresnoy] 10 Février 2011. – Couleurs : le grand livre / Michel Pastoureau, Dominique Simonnet. - Paris : Panama, impr. 2008. 129 p. ISBN 978-2-7557-0385-6 – La Lumière / Bernard Maitte. - [Paris] : Editions du Seuil, 1981. - 340 p. ISBN 2-02-006034-5 – "L'épopée du photon ou la nature double du photon", article de J.O. Baruch, Sciences & Avenir, février 2023.

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