Accueil > Articles> > TIC, travail collaboratif et efficacité collective
Article publié le jeudi 1er septembre 2011 revu le vendredi 13 janvier 2023
MÉTIERS
Une enquête a été produite en 2006 sur l’usage des outils collaboratif en entreprises, à l’initiative de Microsoft et en partenariat avec d’autres acteurs des TIC et de l’économie, tel le CIGREF ( Club Informatique des GRandes Entreprises Françaises), la FING (Fondation Internet Nouvelle Génération), ou le journal La Tribune et bien d’autres.
Il en ressort certains résultats qu’il est intéressant de découvrir dans le cadre de projet Web qui prévoit l’usage d’outils et de moyens collaboratifs.
Rappelons tout d’abord sur le paradoxe de l’économiste Robert Solow, « Prix Nobel d’économie » en 1987 pour son travail sur la théorie de la croissance, actuellement professeur émérite au département économique du MIT (Massachusetts Institute of Technology).
Il fit alors remarquer que l’introduction massive des ordinateurs dans l’économie, contrairement aux attentes, ne se traduisait pas par une augmentation statistique de la productivité. Cette constatation a reçu le nom de paradoxe de Solow, formulé sous la forme : « Vous pouvez voir l’ère informatique partout, sauf dans les statistiques de la productivité » (« You can see the computer age everywhere except in the productivity statistics »).
Cette assertion très provocatrice et controversée a été tournée dans tous les sens par de nombreux chercheurs en économie. Il est établi depuis que les entreprises qui ont mis en place des outils informatiques et dans le même temps se sont réorganisées, ont connu une réelle accélération de leur croissance. Mais à l’inverse, celles qui se sont équipées en informatique sans changer leur organisation ont vu leur productivité décroître...
Au niveau global, l’ensemble des entreprises donne un résultat neutre ! La règle de Solow a permis d’élaborer la première règle de l’efficacité collective liée aux TIC : l’outil seul ne sert à rien et peut même avoir un impact négatif si l’on ne tient pas compte des aspects organisationnels.
Si le Web 2.0 ne pourrait exister sans le développement d’outils informatiques spécifiques, son succès ne réside pas dans l’apparition des outils mais dans la rencontre entre ces outils et des volontés individuelles de s’en servir.
Pour un projet web 2.0, il ne s’agit donc pas seulement de définir le « quoi », mais surtout le « comment » et le « avec quelle organisation » nous implanterons les outils.
L’enquête de Microsoft, dont les résultats ont été publié dans le rapport intitulé « Petite précis d’efficacité collective », répartit en quatre groupes les salariés des entreprises interrogées selon leur attitude envers le travail collaboratif. Il faut préciser que cette enquête a porté sur plus de 1400 entreprises, des grandes entreprises, en passant par les PME-PMI et jusqu’aux TPE.
Les outils de travail collaboratif, un peu comme les langues d’Esope [1], peuvent être ainsi la pire ou la meilleure des choses.
« knowledge sharing is power » = le partage de l’information, c’est le pouvoir.
Francis Bacon (1561-1626), homme d’État [2] et philosophe anglais, l’un des pionniers de la pensée scientifique moderne [2] écrivait en 1597 « le savoir lui-même est pouvoir ». Le savoir, ou l’information fut très longtemps associée au pouvoir. Aujourd’hui, c’est la circulation du savoir et non sa rétention qui devient le paradigme de la société de l’information. Ce discours, s’il est empreint d’un certain lyrisme n’est est pas moins un certain reflet de la réalité.
A ce jour, les pratiques dites de travail collaboratif se limitent trop souvent à des envois (désordonnés) de méls, avec un usage quasi inexistant des autres outils de type blog, wiki, messagerie instantanée, forum, réseaux sociaux. Les réunions « à l’ancienne » restent dominantes dans les entreprises.
Un fort besoin de formation à ces outils peut être avancé pour justifier la réticence à l’utilisation des nouveaux outils. Mais nous pourrions faire remarquer que les millions d’internautes qui publient des blogs, des wikis, des sites, des articles sur Wikipédia ou de courtes assertions sur Facebook n’ont jamais reçu de formation à ces outils... La motivation a couvert le sentiment de besoin de formation technique.
Parallèlement, lorsque les entreprises recrutent aujourd’hui de jeunes collaborateurs, elles se rendent compte que ceux-ci sont « accros » au mobile, au portable ou l’iPod/iPhone wifi, qu’il se sont peut-être essayés à la rédaction d’un blog, qu’ils reçoivent par SMS leur relevés de comptes, qu’ils utilisent « Skype » ou « MSN Messenger », qu’ils publient sur FaceBook, YouTube ou Flickr. Ce sont ceux que les médias appellent la « génération Y ».
Car tous ces outils « Web 2.0 » se diffusent non pas par l’entreprise (même parfois contre l’entreprise !) mais par une logique de voisinage et de décision individuelle et s’élargissent de l’usage privé à l’usage estudiantin puis professionnel. Ces outils, qui induisent des changements rapides de comportement et d’attitude par rapport à l’information, révèlent souvent une aptitude devenue naturelle au travail collaboratif, au partage d’information en temps réel, à la responsabilisation individuelle.
La « fracture numérique » se trouve aussi entre cette génération Y et les entreprises « d’ancien régime » qui les recrutent et où règne la difficulté des échanges d’information, l’importance de la détention, voire de la rétention de l’information, la non-valorisation du partage, l’hypervalidation, l’hyperformalisation.
Les observateurs des changements sociaux les plus audacieux prédisent la mort du mot « cadre ». Les cadres d’autrefois qui « cadraient » le travail des subalternes vont devenir de simples « passeurs » de savoir ou disparaître.
Cette prise de conscience d’un commencement de basculement technologique et culturel que nous vivons doit nous aider dans nos projets numériques, aussi modestes soient-ils.
Alors la formation des équipes d’une organisation au travail collaboratif ne devrait pas se fixer sur les outils mais sur les méthodologies et l’implication individuelle. Car c’est bien cette dernière qui rendra les outils collaboratifs utiles ou inutiles.
Trois axes essentiels sont à suivre pour développer l’implication des équipes :
Un mauvais outil informatique mis en place peut clairement servir de prétexte à la désimplication pure et simple des équipes détentrice de l’information. Nous sommes tous conscients que la mise en place d’outils collaboratifs peut être un formidable démultiplicateur de l’efficacité collective ou au contraire créer l’effet négatif inverse. Pour générer l’effet positif, il faudra donc s’attarder sur les aspects d’organisation, les méthodes de travail et la motivation individuelle.
L’une des facettes du changement d’organisation est justement de déporter le travail d’édition électronique sur les équipes détentrices de l’information, en « pousser » (je pousse vers une personne ressource l’information que je désire voir en ligne, ou je la pousse directement en ligne sans intermédiaire).
Un changement organisationnel est donc incontournable en amont de l’installation d’outils. Mais la mise en place de nouveaux outils, adossé à un changement organisationnel adéquat obligera-t-elle à « formater » les équipes à ces nouveaux outils ? Devons-nous imposer un même niveau d’usage à tous ou au contraire accepter différents niveaux d’usages, quitte à aller jusqu’au non-usage en certains cas, considérant que ne pas aimer les TIC ou ne pas vouloir s’en servir reste un droit ?
Ce phénomène d’appropriation reste relativement ignoré dans le discours sur l’efficacité des TIC dans l’entreprise et seul le discours techniciste prévaut. Mais l’impact des TIC déborde largement du domaine technique où nous voudrions les contenir. Elles modifient la culture collective, tant par leurs usages domestiques toujours volontaires, que professionnels trop souvent subis ou contraints.
L’introduction des outils collaboratifs ne doit pas être qu’un projet d’équipement et de développement informatique, elle doit être le temps de la réflexion sur l’optimisation des processus de travail existants. La recherche de l’efficacité doit être la recherche de l’équilibre entre les opportunités techniques offertes par les TIC et la maîtrise des processus opérationnels par les individus concernés dans l’entreprise.
Toute organisation doit dresser la carte des « épaisseurs des usages » des équipes et mesurer leur motivation à collaborer à un site qui se voudrait « Web 2.0 ». La récolte optimale des bénéfices du travail collaboratif se situe donc dans un équilibre délicat entre le potentiel technique offert par les outils et la capacité à accompagner le changement auprès des individus utilisateurs.
Posons d’ores et déjà une limite au discours sur la nécessité de changement des processus de travail. Si ce besoin de changement est souvent occulté dans les projets numériques par la survalorisation du potentiel des TIC, il serait aberrant d’envisager la refonte totale des processus existants autour des nouveaux outils collaboratifs. Les moyens financiers d’accompagnement au changement seraient trop importants.
Le gain d’efficacité maximum du travail collaboratif se situe donc dans un équilibre délicat entre le potentiel technique offert par les outils et la capacité à accompagner le changement auprès des individus utilisateurs.
Bon nombres de tâche peuvent être désormais facilement informatisables (publier un article technique, une annonce de stage, publier un fil RSS, choisir une date de réunion collective, répondre à une question sur un webforum, corriger une coquille), et c’est justement cette facilité qui renforce le besoin d’accompagnement des utilisateurs au projet d’informatisation, car les individus ressentiront fortement l’impact de l’implantation d’un système collaboratif sur leur champ d’action.
Il paraît en conclusion plus pertinent de mettre l’accent sur les individus plutôt que sur les outils, pour définir le développement du projet collaboratif et l’évolution des pratiques professionnelles au sein d’une entreprise.
[1] Ésope était un esclave qui racontait des fables. Le maître d’Ésope lui demande d’aller acheter, pour un banquet, la meilleure des nourritures et rien d’autre. Ésope ne ramène que des langues ! Entrée, plat, dessert, que des langues ! Les invités au début se régalent puis sont vite dégoûtés. « Pourquoi n’as tu acheté que ça ? ». « Mais la langue est la meilleure des choses. C’est le lien de la vie civile, la clef des sciences, avec elle on instruit, on persuade, on règne dans les assemblées... » « Eh bien achète moi pour demain la pire des choses, je veux diversifier et les mêmes invités seront là. » Ésope achète encore des langues, disant que c’est la pire des choses, la mère de tout les débats, la nourrice des procès, la source des guerres, de la calomnie et du mensonge.
[2] Francis Bacon fut un observateur averti de la société, lui aussi très intéressé par l’impact des « nouvelles technologies » de l’époque. Il écrivit en 1620 : « L’imprimerie, la poudre à canon et le compas ont changé la face et l’état du monde […] Des ces trois inventions sont nés d’innombrables changements dans les affaires humaines qu’aucun empire, secte ou étoile n’aurait pu entreprendre. »
Société
Formation & métiers
Projet Web
Recherche
Informatique